Numéro |
Ann Toxicol Anal
Volume 18, Numéro 1, 2006
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Page(s) | 33 - 43 | |
DOI | https://doi.org/10.1051/ata:2006027 | |
Publié en ligne | 7 février 2008 |
L'abus de Daturas et de Kava en Nouvelle Calédonie : une pratique inquiétante
Addiction involving Daturas and Kava in New Caledonia
1
Centre Hospitalier Territorial de Nouvelle-Calédonie, Laboratoire de Biochimie et d'Hémostase, BP J 5 - 98849 Nouméa
2
ChemTox- 67400 Strasbourg
3
Institut de Recherche pour le Développement
4
Centre Hospitalier Spécialisé, Nouméa - Nouvelle-Calédonie
Reçu :
20
Janvier
2006
Accepté :
13
Février
2006
En Nouvelle-Calédonie (N-C), pays français du Pacifique Sud-Ouest, deux tendances inquiétantes émergent et ne doivent pas être ignorées : les consommations de daturas, appelées Herbe du Diable, et celle abusive d'une boisson tranquillisante océanienne faite à partir du rhizome d'un poivrier, le kava, surnommé Narcotic Pepper par A. Shulgin. Nous décrivons pour chaque plante une série de cas cliniques et/ou médico-légaux récents. Les daturas (Datura sp. & Brugmensia sp.) sont des solanacées herbacées ou arborescentes. Six espèces ont été introduites en N-C. Toutes les parties de la plante sont réputées contenir des alcaloïdes tropaniques dont l'atropine, mélange de D et L-hyoscyamine et surtout, la scopolamine qui prédomine dans les daturas présents en N-C. Ces deux agents antimuscariniques sont responsables, selon la dose, de sédation ou de délire hallucinatoire - parfois cauchemardesque - recherché par les usagers. Le diagnostic doit pouvoir écarter un premier épisode de psychose et l'analyse toxicologique prend toute son importance. Sur l'année 2005, nous rapportons les cas de 4 hommes âgés de 20 à 28 ans hospitalisés pour troubles sévères du comportement après pour 3 cas, l'ingestion de tisane du Diable et pour le , la fumigation dans un shilom de la plante associée à de la marijuana (dont les teneurs en THC variaient en 2005 de 0,25 à 13,8 %). Les analyses toxicologiques ont été réalisées par HPLC/DAD et par LC/MS-MS. Alors que l'HPLC/DAD mettait en évidence la scopolamine dans les parties végétales (feuilles : 0,80 à 10,60 μg/mg, eurs entières : 6,30 à 10,60 μg/mg, poids sec) et dans des décoctions de Brugmensia sp. (30 à 37 mg/L), elle ne nous a jamais permis de retrouver les principes actifs dans le sang ou l'urine des sujets. Dans ces milieux, seule la LC/MS-MS a permis cette détection. Chez un sujet, la LC/MS-MS a prouvé par analyse capillaire séquentielle la consommation chronique de Datura inoxia. Par contre, l'analyse de poils de barbe d'un consommateur occasionnel s'avérait négative. Piper methysticum, communément appelé kava est une pipéracée traditionnelle du Pacifique dont les racines sont importées en N-C. La racine est broyée, puis malaxée dans l'eau, la solution est filtrée et consommée dans des bars à kava ou nakamals. Les substances actives sont des lactones aux effets benzodiazépines-like. La consommation de cette boisson n'est pas réglementée en N-C. Or, depuis quelques années, on relève des formes d abus de kava à type d ingestion massive ou de polyusage l'associant à l'alcool et au cannabis, cette dernière défonce étant communément nommée "trithérapie" ou "triathlon" par les usagers eux-mêmes. A titre d'exemple, nous rapportons 4 cas médicolégaux survenus durant le seul mois de septembre 2005 concernant 2 hommes impliqués dans 2 rixes dont l'une mortelle, et 2 femmes dont l'une était retrouvée morte à son domicile. Leurs âges étaient compris entre 24 et 30 ans. Les analyses toxicologiques étaient réalisées sur le sang par HPLC/DAD. Chez les 2 hommes, le kava était associé au cannabis ; chez la jeune femme, des kavalactones ont été retrouvées en association à de la cyamémazine qui lui était prescrite. De l'ethnomédecine aux nouvelles conduites addictives : sans références culturelles, l'usage des plantes psychotropes est dévoyé et ouvre la porte aux abus. Il s'agit surtout d'un polyusage associant plantes, alcool et cannabis à but avoué de défonce par potentialisation de leurs effets. Le prétexte d'un retour à la tradition ou d'une néo-tradition ne peut excuser ces abus qui doivent être officiellement dénoncés par les instances gouvernementales. Le "secret-défonce" doit être levé et une réglementation définie.
Abstract
In New Caledonia (N-C), French country of South Pacific, there are two new emerging problems : consumption of Daturas, so-called Herbe du Diable and abuse of a typical sedative drink obtained from the roots of a Pepper tree, kava , that is known as Narcotic Pepper , according to A. Shulgin. For each plant, we describe a series of clinical and/or forensic cases. Daturas (Datura sp. & Brugmensia sp.) are belonging to the Solanaceas group. Six species have been introduced in N-C. All the parts of the plant contain tropanic alkaloids, such as atropine, a mixture of D and L-hyoscyamine and mostly scopolamine. These drugs are involved in the hallucinogenic and sedative effects. In 2005, we have observed 4 cases involving men, aged 20 to 28 years and hospitalized after severe impairment. HPLC/DAD was useful for the identification of scopolamine in the preparations, but did not reach the requested sensitivity for biological (blood and urine) specimens. For that, LC/MS-MS appears as the method of choice. Moreover, using this technique, segmental hair analysis demonstrated in one subject a chronic abuse of Datura inoxia. However, in another situation, beard hair of a chronic abuser remained negative. Piper methysticum, generally called kava is an original plant of the Pacific. The root is grinded, mixed with water and after filtration, the preparation is consumed in specific places, such as kava bars or nakamals. Active ingredients are lactones, with benzodiazepine-like effects. Consumption is not forbidden in N-C, and frequently associated with alcohol and cannabis. To document this specific abuse, we report 4 forensic cases observed during September 2005. Kavaïne, tested by LC/DAD, was associated with cannabis in two cases and with cyamemazine in one case. These two typical forms of addiction appear as a new way of polydrug abuse, involving traditional plants, cannabis and alcohol. Deep impairment is observed, due to potentialisation of the active compounds. Old traditions cannot support this behaviour and politics should take it into consideration to propose a suitable legislation.
Mots clés : Datura / kava / tradition / Nouvelle Calédonie.
Key words: Datura / addiction / kava / New Caledonia.
© Société Française de Toxicologie Analytique, 2006